D’un côté de la rade à l’autre : une cité-viaduc imaginée par Claude Petton

En 1962019 02 12 pont petton vignette6, Claude Petton passe l’ultime étape pour l’obtention de son diplôme d’architecte : il présente à un jury son projet « Essai pour l’aménagement d’un grand pont maritime : une cité régionale des loisirs et de la culture ». L’ouvrage ambitionne de relier le pays du Léon à celui de Cornouaille, en raccordant Plouzané à la pointe de Roscanvel. Si le projet répondait à certains défis architecturaux, il abordait aussi plusieurs thématiques sociétales.

Le projet n’avait pas vocation à être réalisé ni même à concourir ; son uniquebut était de démontrer la capacité et les compétences de l’auteur à devenir architecte. La seule règle fixée était celle de la faisabilité technique. Dès lors, Claude Petton avait toute latitude pour laisser libre cours à sa créativité et faire abstraction de la démesure de ses propositions dont il était pleinement conscient.

Il y a plus d’un demi-siècle, il expliquait alors son projet en ces termes : « Pensant aux ponts commerçants du Moyen-Âge, on pourrait invoquer le caractère symbolique de traits d’union, de lieux de rencontre et d’échange accordé à un pont, et aussi ce que pourrait représenter pour un peuple de marins, l’idée d’un grand balcon projeté sur la mer. Partant de cela et dans la perspective de d’une civilisation où les activités de remplacement prendront de plus en plus d’importance, j’imagine que l’on décide d’y aménager "la cité régionale des loisirs et de la culture". On pourrait encore étendre cette idée au cadre de l’Europe à la recherche de ses anciens fonds de civilisation commune et où grandiraient les échanges culturels entre régions. (…) On pourrait imaginer ainsi un nouvel essor des échanges traditionnels d’ordre économique, touristique et culturel. Dans ce contexte, et parallèlement à cette cité des loisirs et de la culture envisagée sous son aspect général, on pourrait imaginer en cet endroit, une sorte de conservatoire des civilisations celtes et de leur apport au patrimoine commun occidental. Ce serait aussi le siège de manifestations de tous ordres – Festivals du théâtre celtique, manifestations folkloriques, expositions, musées, stages d’étude de langues, de l’histoire, des traditions, … »

Cette « cité-viaduc » était davantage un ouvrage d’art.

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Schématiquement, il s’agissait d’un « ruban tendu » à 68 mètres de haut entre la pointe du Mengant et celle de Cornouaille, distantes de 2 150mètres. Les avantages de cet axe sont connus depuis le XVIIème siècle puisqu’ils ont motivé le positionnement de forts en ces 2 endroits, de part et d’autre de la rade. Les bateaux devant nécessairement passer d’un côté ou de l’autre du plateau des fillettes – sous peine de s’y échouer – se trouvaient alors immanquablement à portée de canons d’un des deux forts.

Le choix de cet axe était aussi motivé par l’utilisation la roche Mengant (rocher situé à mi-distance) pour accueillir la pile principale du pont : les dimensions et la forme imposantes de celle-ci se voulaient cohérentes de l’immensité de la rade qui l’entourait. Elle permettait surtout de conférer à l’ouvrage toute son originalité : en forme de V et avec ses 280 mètres d’envergure, elle pouvait héberger, sur 9 niveaux, la fameuse « cité régionale des loisirs et de la culture ».

Le premier niveau – le plus élevé - est celui de la route à 4 voies ; le second – sous le tablier - était réservé aux parkings avec une capacité de 560 voitures au total ;le troisième abritait un ensemble d’hôtels, de restaurants et de services organisés autour de petits jardins. Musées, bibliothèques, cinémas, discothèques, salles, … tous les espaces répartis entre les quatrième et cinquième niveaux étaient adaptés à toutes les activités culturelles. Avec ses amphithéâtres et ses salles de projections, le niveau 6 avait vocation à accueillir des conférences ou des représentations.Le forum du septième niveau était le centre de convergence de l’édifice ; il pouvait également recevoir de grandes expositions. La plate-forme du niveau 8 surplombait la mer : elle se voulait un lieu intergénérationnel, avec divers espaces associatifs, et celui des grands spectacles, avec sa tribune de 5 000 places, mobile sur un axe pour mieux suivre les manifestations nautiques et pouvant être ouverte grâce à d’immenses baies vitrées. Enfin, à 8 mètres au-dessus de la mer, le neuvième et dernier plateau autorisait les activités sportives, en salle ou en plein air : piscine, judo, ping-pong, tennis, volley, port de plaisance, …

Trois piles annexes étaient prévues pour assurer le soutènement du tablier et tout était pensé pour que le trafic maritime ne soit pas entravé, y compris pour les plus gros navires.

C’est ainsi que M. Petton a conçu avec originalité et jusque dans ses moindres détails ce qui n’était jusqu’alors qu’un sujet de café du commerce : calculs, plans, maquettes, …ont été réalisés en équipe avec des élèves ingénieurs des Ponts-et-Chaussées. Le coût estimé en 1966 était de 7 à 8 milliards de francs, soit à l’époque, le prix de 70 kilomètres d’autoroute.

Ce projet annonçait déjà les caractéristiques qui allaient devenir la « marque de fabrique » des réalisations de Claude Petton, adepte de l’« architecture organique » : sensibilité, imagination, créativité, respect de la nature inspiratrice, harmonie, intégration à l’environnement.

Avec ce pont, les temps de trajet entre les villes de l’ouest du Léon, Crozon et Quimper se trouvaient significativement réduits. Plus largement, l’ouvrage se voulait également répondre à des préoccupations territoriales et culturelles. Ainsi, Claude Petton avançait, entre autres arguments justifiant l’intérêt de son projet, que celui-ci désenclaverait la presqu’île de Crozon « en l’incluant dans la zone d’attraction immédiate de Brest et dans les circuits touristiques »…

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Ce projet a valu à M. Claude Petton une mention « Très bien » et la médaille d’argent du meilleur diplôme. M. Petton a ensuite continué sa carrière en ouvrant son cabinet à Brest. Outre de nombreuses maisons individuelles, il y a notamment conçu l’église de Quizac, le club nautique de Brignogan, le centre Moulin-Mer à Logonna-Daoulas, la Chambre de Commerce et d’Industrie de Brest et proposé divers projets d’aménagements urbains pour Brest.

Pour l’anecdote, un tout autre pont – symbolique et éphémère- a existé entre les deux rives de la rade : lors du passage à l’an 2000, la Ville de Plouzané avait mis en place, avec le concours du Technopôle, de l’Ifremer, de la commune de Roscanvel, de la CCI de Brest et d’écoles d'ingénieurs environnantes, un pont de lumière en faisant se rejoindre deux faisceaux lasers émis de la pointe du Diable, pour l’un, et de Roscanvel, pour l’autre !

 

Sources :